Pierre Vandervorst

Hommages prononcés lors des funérailles du prof. dr. Pierre Vandervorst

Né à Etterbeek le samedi 18 juillet 1942 – Décédé à Uccle le lundi 16 octobre 2023 à l’age de 81 ans

      


Papa,

Nous y voilà. A ce jour que je redoutais tant et qu’il m’est arrivé d’imaginer. Comment te dire au revoir ?  Comment (LE) dirais-je, pour reprendre une de tes formulations favorites ?

Cela fait une semaine que tu es parti. Et depuis que l’on s’occupe de ton hommage, la réalité de ce départ semble s’être adoucie, comme passée au second plan. J’enfouis mes émotions sous le tapis, et j’appréhende ce que sera demain. Saches-tu me le pardonner, toi, l’homme de loi, l’homme de cœur. Profondément attaché au droit social, je pense que vous l’aurez compris à la suite de cette cérémonie. Mais aussi sensible aux droits des jeunes, ce que moi j’aurai compris lors de la réalisation de mon mémoire.

On se ressemble. Humanistes et attachés à la règle, son interprétation, sa jurisprudence, sa doctrine et ses controverses. Nous avons tant discuté, toi et moi. J’aimais avoir ton avis et toi, j’ose le croire, me donner le tien, à défaut de recevoir le mien – c’est pour rire, comme tu dirais, je suis convaincue que le mien t’intéressais aussi). Ça nous faisait réfléchir, et repenser le sujet, le monde aussi, comme le dit l’expression.

Tu es ce qu’on appelle une oreille attentive, respectueuse de celui qui lui bourdonne dedans. Tu savais te mettre dans les souliers de l’autre. Parfaitement. Un confident hors pair et un soutien solide, serein, dans tout ce qui nous était cher. Tu t’intéressais à presque tout et à nous. Une patience avec les enfants que j’ai découvert, ils t’amusent, et toi aussi tu les amuses. J’ai encore besoin de toi papa, de ton oreille douce associée à ce regard puissant, qui pouvait nous fusiller de désapprobation comme être d’une chaleur inouïe. Ce regard reste ancré dans ma mémoire. Un clignement des yeux de toi, papa, était d’une saveur, comme un coup de soleil de la mer du Nord.

Team Coxyde. On y a passé d’inoubliables moments. À quatre avec maman, à trois avec Manon, avec Valérie, pour ton anniversaire, et puis parfois à deux ou à bien plus. Jean et Marcelle sur la digue et Philippe dans la maison d’en face. Cernés de lapins, d’ânes, biches, chevaux, de tous les animaux le long de la route comme on les appelait, sans oublier les araignées trônant au-dessus de mon lit superposé de la maison de Monsieur du Mortier.

C’est certain, y retourner sans toi aura un tout autre goût. Ces mots à ta mémoire me font penser aux séances de vélo, de cuistax, à la Hoge Duin, au Pavillon Japonais, aux crevettes grises à éplucher – les gauffres ça ça reste entre nous – au Méli, Efteling, Planckendael, aux marches ADEPS, au Rouge Cloître, au Mini golf, à la Foire du Midi, au sport à la télé, à Plus belle la vie, aux titres du “journal parlé ”, à tes visites à l’improviste où j’apercevais ton imper’ vert à travers ma fenêtre, aux découpes de journaux sur les thèmes qui m’intéressent, à mes chats que tu as nourri à chacun de mes voyages, à nos voyages ensemble, au bistrot bobo, et à la gentillesse sur laquelle on a théorisé et qui est l’une de tes qualités reconnues par ceux qui me parlent de toi.

On me dit que mon papa était un homme bien, censé et généreux. L’anecdote suivante pourrait en être la preuve : après pratiquement chaque repas, à la maison ou ailleurs, nul autre que toi nous demandais systématiquement, avec insistance, je dis bien avec insistance, si l’on souhaitait encore prendre quelque chose, après avoir englouti entrée, soupe, plat et dessert. Une marque de politesse, probablement, et de générosité effectivement. La chaleur des repas avec toi était exquise.

Moi qui rêve le mot famille, je n’oublierai rien de ce qui a fait la nôtre. Je perds en ce mois d’octobre l’un des miens et présage déjà les souvenirs qui remonteront sans prévenir. Le blues de toi m’envahit progressivement.

Papa, si tu étais là, et il n’y a pas si longtemps tu étais là, assis à côté de moi dans cette même salle, en chemise blanche costume, ce jour où on a dit au revoir à notre amie Anna. Tu m’avais raccompagné à la maison ce jour-là. Aujourd’hui on rentrera sans toi (et je le dis sans même y croire). Si tu étais là, donc, je sais ce que tu nous dirais: on se secoue, tout doucement. Alors oui papa, on va se secouer tout doucement.

Et pour commencer, j’ai très probablement dépassé du temps qui m’étais imparti, mais pas facile de faire l’économie de ma déclaration d’amour. Et puis tu aurais aussi dépassé papa, raisonnablement bien sûr, mais tu aurais aussi dépassé … 😉

On te confie à Papou et à Mamouche. J’embrasserai mes enfants, qui sont un bout de toi, et j’embrasserai leur papa, ce soir. J’aimerais encore pouvoir te serrer dans mes bras.

Au revoir, comme le fait si bien Rym, ta petite fille, à l’aide de sa petite main, au revoir papa chéri  ♥️

Céline Vandervorst


Extrait du livre Le banc du temps qui passe. Méditations cosmiques de Hubert Reeves

Cliquez sur le livre pour écouter l’extrait

Manon Vandervorst


Pierre,

D’autres aujourd’hui feront ton éloge professionnel, celui de ton intelligence, ton savoir faire (du droit). Tu excellais dans l’alliage du savoir, de la méthode, pragmatique, de l’idéal à atteindre et la réalité de la vie, avec l’élégance d’un homme de lettres en plus. Ils diront ton besoin de transmettre surtout, à des générations d’étudiants, ton endurance, ta quête de perfectionnisme.

Je vous ferai seulement part de ce qu’était Pierre, avec quelques repères pas trop rabougris, ni trop froids afin que nos cœurs s’y réchauffent un peu. Des histoires d’un homme qui savait si bien charmer et qui a été tant aimé. Ce que femme veut … ce que Pierre voulait !

Curieux, tu t’enrichissais de lectures hétéroclites avec un esprit disponible, de René Char, à André Comte Sponville, de Frans De Waal à Giono, presque obsessionnel sur certains sujets, le braconnage, pour ne parler que de celui-là, explorant toutes ces facettes, nourrissant ton goût pour la forêt, ses animaux, les oiseaux, la vie au naturel.

Je ne t’ai pas assez remerciée de la confiance en moi que tu m’as insufflée, des encouragements pour écrire des trucs académiques dans des revues ‘scientifiques’. Tes conseils posés sur mes propres discours de nouvel an sur les fourmis, les abeilles, les 3 Hum (humilité, humour, humanité), ont été une référence et le sont encore aujourd’hui.

Merci de m’avoir aidée à sortir de l’ornière d’une administration où la rebelle que j’étais n’avait pas trouvé sa place, son avenir.

Tu t’étais mis à l’égalité des chances, au féminisme même, tempéré certes, mais efficace. Diable, il s’agit bien de justice sociale ! J’évoquais ce week-end, avec Philippe Busquin, une certaine loi sur l’assurance maternité, conçue durant un de mes congés de maternité et écrite un dimanche après-midi, à quatre mains. Je repense à ce séminaire de droit européen que j’avais organisé au Zoute, et auquel le même Philippe devait prononcer des conclusions que tu lui avais écrites. Tu avais commencé à les déclamer quand arrive enfin Philippe qui lance à la salle hilare que ses discours étaient encore mieux dits par toi.

Merci aussi d’avoir calmé mes colères à la suite de certains arrêts de la Cour de Justice si mal inspirée, impitoyable, à propos de notre sécurité sociale, ta passion et aussi la mienne.

Tu venais du monde des chiens et tu m as suivie dans celui des chats.  Tu avais baptisé notre maison, “La Chat Beautière”, cette maison dans laquelle nos enfants ont grandi. Ces enfants dont je suis si fière, à qui je ne le dis pas assez souvent. Et créé cet Ordre du Chat Beauté. Parce qu’il faut bien rire de soi, chacun de nos amis avait choisi un nom de chat. Tu m’avais appelé Tchad’Or et toi, c’était Chamois. J’en ai le souvenir enchanteur de fêtes, de randonnées en Ardennes, de ce concours du plus beau château de sable sur la plage de Coxyde.

Toi le casanier, les voyages pour la découverte, oui, moins pour l’aventure… Nous avons traîné nos guêtres de Stockolm à Montréal, du Maroc à Israel, de Vienne à Danzig. Mais au bout du compte, tu revenais à Coxyde, ta tanière, les dunes, ton refuge nostalgique dans lesquelles tu as choisi de t’évaporer.

Après les tensions, nous n’avons pas cessé de nous entraider, prêts à partager nos passions communes, l’histoire de la sécu, et bien entendu tous ces livres qu’on se passait dans nos boîtes aux lettres,  avec des commentaires et tes fameuses fiches. Mais aussi à se soutenir face aux peurs et aux chagrins qui n’épargnent personne.

Comme tu me l’as dit quelque fois, les gens qu’on a choisi, on les aime pour toujours, bien au-delà de la mort. De l’étoile qui t’abrite désormais, Pierre, je te fais une dernière prière, intime et ardente à la fois, celle de veiller sur tes enfants, les quatre, les plus petits, sur nous tous, avec toute l’humanité et la générosité dont tu as su faire preuve toute ta vie.

Sans amour, on n’est vraiment rien.

Dominique De Vos


C’est comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c’est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries. C’est ce que dit le Petit Prince de Saint Exupéry.

Pierre était et reste un petit prince. Il habite désormais dans une étoile, de l’autre côté d’une petite rivière. Sur l’autre rive. Et quand je passerai aux Mésanges j’aurai le cœur qui s’allume comme l’étoile qui éclaire la fleur du Petit Prince.

Mon Pierre, je t’écrirai désormais dans l’étoile où tu habites. Et je regarderai le ciel, la nuit, sachant qu’une étoile est habitée par un ami. Par mon ami.

Dieu sait si nous avons baroudé ensemble, un peu partout sur la planète. Pardon, pour ce Dieu auquel tu ne crois pas. Tu m’entraînes comme toujours dans tes doutes. Jamais jusqu’ici tu ne m’avais par contre entraîné dans une étoile. Mais bon, on s’était toujours dit que même la mort ne mettrait pas fin à notre amitié. Alors, dans une étoile ou ailleurs… De part et d’autre de ta rivière, nous allons en écouter ensemble le gazouillis. Et de la sorte les mésanges ne seront jamais loin.

Mon Pierre, tu étais mon pote. Pardon mon Pierre, tu vas sûrement corriger ton Sancho Panza, tu es mon pote. Tu es plus qu’un pote. Tu es un frère, aujourd’hui étoilé. Et ce n’est pas cette petite rivière qui va changer quelque chose. Pierre tu es le meilleur ami du monde, ce monde étendu à la galaxie. Ce postulat existe depuis 1966, soit depuis un nombre d’années qu’Alzheimer m’empêche de calculer. Il y a juste cette embarrassante petite rivière, qui n’est pas un Rubicon et encore moins le Styx. Elle ne va quand même pas perturber nos sempiternelles complicités. En langage des étoiles, tu es donc mon ami, pote, frère depuis des années-lumière. Toutes ces métaphores aident à vivre et pérennisent, si besoin en est, notre extraordinaire amitié. Il n’est pas utile de te dire ce que tu sais déjà mais les étoiles, elles, ne savent pas tout. Du moins pas encore, car maintenant que tu y habites …

Et, nom d’un pétard – je t’entends encore prononcer ce juron qui n’en est pas tout à fait un ! – et, nom d’un pétard, je ne suis pas seul à avoir tant d’estime pour toi. Tu ne seras pas seul dans ton étoile. Et je ne serai pas seul à arroser au quotidien cette fleur que soigne le Petit Prince. Ça doit être une rose. Tu connais mon attachement aux roses. J’en ai trouvé une qui nous convient. Elle s’appelle Pierre … comme par hasard, Pierre de Ronsard en hommage à ce superbe poème “Mignonne, allons voir si la rose” que tu aurais bien écrit 500 ans plus tard.

Je reviens à cette concurrence d’amitié qui s’étale aujourd’hui, embrase toute la voie lactée et braconne mon amitié.  Sous l’influence de Pierre de Ronsard sans doute, une pléiade de connaissances s’emploie aujourd’hui à te dire ce qu’ils ne t’ont jamais dit et qu’ils regrettent bien de ne jamais t’avoir dit. J’ai épinglé des textes sur des parchemins, longs à n’en pas finir, qui sont révélateurs de l’estime que l’on te porte. L’ampleur m’empêche de te les lire mais curieux comme tu es (je veux bien sûr dire intellectuellement curieux) tu vas étancher ton inextinguible soif de lire dans ce registre que Frank et consorts t’ont concocté, avec l’aide de toute ces étoiles qui ont parsemé ta vie.

Mon Pierre, je t’embrasse et t’étreins comme jamais. A plus …  sur la rivière.

Félix De Bue


Il y a trente années déjà Pierre venait en Sologne avec Dominique et ses filles.

Nous avions écrit le livre du braconnier et il était l’auteur du Parfait petit braconnier. Il vint voir qui nous étions pour avoir écrit un livre aussi subversif. Nous découvrions du même coup un homme lettré, adorant les mots, trouvant toujours la phrase pour faire plaisir, déclencher un  sourire et provoquer l’enchantement. De loin en loin, nous avons passé du temps avec sa famille à Bruxelles, en Sologne, à Montauroux, à Coxyde où il adorait séjourner.

Dans mes romans, il relevait l’imaginaire et la poésie un peu sauvage de mes racines solognotes. Et il s’y retrouvait.  Mais il n’a jamais osé franchir la frontière du romanesque. Il arrivait qu’il me transmette ses textes , qu’il écrivait  très soigneusement selon les circonstances, un départ à la retraite ou un discours officiel. Loin d’être ennuyeuse, sa prose se teintait alors de la poésie. Il trouvait le mot juste, avec un brin d’humour à faire rougir l’auteure que je suis.

C’est pourquoi aujourd’hui je me sens désemparée, je redoute de ne pas être à la hauteur de la formule qu’il aurait su trouver.

Il nous manque déjà beaucoup.

Marieke Aucante

Marieke Aucante,  la femme de Pierrot, est journaliste et  écrivaine, Ils vivent près de Chambord dans une extraordinaire maison de rondins, envahie de livres  bien sûr, entièrement construite par Pierrot, au milieu des bois. 


Pierre, l’improbable braconnier.

La rencontre était inévitable. Pendant des années nous avons sans le savoir travaillé sur le même sujet: la braconne. Après la publication d’un article dans une revue de chasse, Pierre m’a écrit pour compléter ses fiches sur la Sologne, terre de chasse et de braconniers. Qu’un professeur de droit  de l’ULB s’intéresse à ce sujet sulfureux n’était pas pour me déplaire. Lorsque nous nous sommes rencontrés, j’ai fait la connaissance de toute une famille et j’ai vite saisi que sa passion braconnière n’avait rien à voir avec les aspects juridiques.

En lisant son premier ouvrage, “A l’enseigne de la braconne”, j’ai compris qu’il s’était lancé dans une quête littéraire et poétique qui n’aurait jamais de fin. Nos rencontres dans les profondeurs de la forêt solognote m’ont permis de percevoir, toujours à demi-mot, que des citations que d’autres lecteurs n’auraient pas relevées, résonnaient à l’intérieur de lui-même. En puisant une substantifique moelle poétique chez René Char, Blaise Cendrars ou Arthur Rimbaud, Pierre nous convie à la fréquentation de son braconnier intime, adepte de la braconne-oxygène, “cet écologiste qui s’ignore, qui nous apporte une bouffée de vie saine dans la turbulence, la fébrilité, l’étouffement du quotidien, de la ville dévoreuse de temps”.

Encore plus profondément dissimulées derrière l’avalanche de textes, ses flâneries littéraires l’entrainent inexorablement, au plus loin de la criminologie, vers la quête insatiable de l’amour, aboutissement ultime de toutes les braconnes.

Pierrot Aucante


Pierre,

résumer un parcours commun de près de 40 ans oblige évidemment à choisir dans le champ foisonnant des souvenirs, entre Bruxelles, Saint Idesbald, Houyet, voire Lubumbashi. Ayant été ton étudiant, ton assistant, ton collègue et surtout, ton ami, les miens seront ceux de ton apport inestimable à la criminologie ulbiste et belge.

Tu es un créateur, Pierre, un homme de projets que tu multiplies et mènes à bien, en y associant un maximum de personnes que tu motives et dynamises comme nul autre pareil. Quand tu deviens vice-président de l’École de criminologie en 1985, c’est parti : tu crées aux éditions Story scientia d’abord, puis aux éditions Bruylant sous un nouvel intitulé, une collection d’ouvrages destinée dans un premier temps prioritairement à la publication de mémoires d’étudiants, elle vivra 35 ans ; la même années, tu es aussi à l’initiative du premier colloque anniversaire pour les 50 ans de l’école, La criminologie au prétoire, qui sera suivi par plusieurs autres jusqu’en 2010.

Devenu président, tu passes à la vitesse supérieure et tu signes un mandat qui fut l’un des plus riches et des plus créatifs de l’histoire de l’école. Qu’on en juge, le tout en 4 ans et parallèlement à tant d’autres responsabilités parfois bien plus importantes:

  • tu trouves les moyens pour engager deux nouveaux professeurs de criminologie et un assistant à temps plein;
  • tu portes à bras-le-corps une réforme fondamentale du programme de la licence qui a permis d’en faire une véritable formation criminologique et de rompre définitivement avec l’image d’une école dite “poubelle de la faculté”;
  • tu réussis à mobiliser de nombreux collègues de l’université pour organiser un nombre important de séminaires, de grandes conférences et de colloques, nationaux comme internationaux, qui non seulement ont sensiblement amélioré la formation dispensée à nos étudiants, mais ont aussi contribué à la reconnaissance académique de l’école, au sein de l’ULB comme à l’extérieur;
  • tu inities la tradition des colloques d’hommage aux professeurs admis à la retraite;
  • tu lances les premières activités de recherche scientifique, grâce à l’obtention de plusieurs contrats;
  • ton sens de la convivialité te conduit à organiser un dîner annuel rassemblant professeurs, assistants et étudiants. L’apothéose fut ton dernier dîner comme président où, assoiffés et affamés, nous fûmes d’abord obligés d’écouter jusqu’au bout un concert de Julos Beaucarne. Lequel Julos passa ensuite son temps à dessiner l’arc-en-ciel de son pull sur les beaux livres d’Adolphe Prins que tu avais dénichés dans un coin de l’université pour les offrir aux convives;
  • et puis, il y a donc ton sens du détail : tu fais adopter un logo pour l’école, tu introduis la tradition de donner un nom aux promotions d’étudiants diplômés et tu fais même la décoration du menu du dîner annuel …

Pierre,

avant même le droit social, tu es venu à la criminologie par le braconnage. En 1964, encore étudiant donc, tu publies une “Sémantique du braconnage” à la Revue du Royal Saint-Hubert Club de Belgique, qui sera suivie, tout au long des années soixante, par une douzaine d’études sur le sujet. En 1982, tu reviens cette fois avec un livre, A l’enseigne de la braconne, aux éditions de l’Université de Bruxelles, dont une 2e édition sera publiée dans la collection de l’école en 1994 sous le titre Le parfait petit braconnier.

Mais tu es aussi resté en criminologie avec cette idée forte selon laquelle la question criminelle ne peut se comprendre que par la question sociale. J’ai bien senti ton coup de coude il y a un instant parce que je n’ai pas choisi une citation de début à la quelle tu tiens tant … J’en ai une de fin, elle est de toi, elle a plus de 30 ans et elle a une dimension proprement révolutionnaire. Elle pourrait être un beau testament intellectuel criminologique : “si la politique criminelle doit, demain, progresser substantiellement, cesser de tourner en rond, ne le devra-t-elle pas à une prise en compte audacieuse de sa dimension sociale rentrée ? A sa dépénalisation radicale dans les pas du risque professionnel ? A l’émergence, à la promotion du risque criminel ?”.

Soit donc la voie d’une socialisation du pénal, autre balise forte et peut-être particulièrement nécessaire à souligner de nos jours. Le reste de ce que je voulais dire sera en notes de bas de page et, comme à ton habitude, elles seront nombreuses.

Merci pour tout, mon ami.

Philippe Mary


Très chers enfants et petits-enfants de Pierre,

c’est avec une grande et profonde tristesse que j’ai appris la mort de mon ami, votre père et grand-père.

C’est par l’intermédiaire de Dominique, une amie rencontrée lors de nos études universitaires  à l’ULB, devenue sa compagne, que nous nous sommes connus, il y’a presque quarante ans, et sommes devenus des grands amis sincères. Une amitié jamais démentie.

Je me souviendrais, pour toujours, de notre fameux voyage, à la découverte de la Pologne profonde, fraichement libre, avec Céline et Manon, surtout de la belle Mercedes embourbée, dans la forêt, en Silésie.

Que dire de nos promenades, le long du lac de Saint Cassien, ensemble avec les enfants et, surtout, le tout jeune chien de Manon, Passion.

Il y’a des centaines de souvenirs qui nous lient et  continuent à nous lier. Je me souviendrai toujours de ce proverbe africain qui dit: “les morts ne sont pas morts, mais ils restent toujours vivants, mais invisibles à nos yeux”.

Pierre Vandervorst, par son livre, Le parfait petit braconnier, m’a ouvert les yeux sur le fait qu’il y’a plusieurs aspects de braconnage. Permettez-moi de citer ceci pour étayer mon propos: “Cette fois, il ne s’agit plus à proprement parler d’une chasse ou d’une activité exercée en cachette sur le terrain d’autrui. Les braconniers de l’impôt, ce sont ceux qui s’adonnent à la fraude fiscale et tirent de cette illégalité un bénéfice que l’on compare volontiers avec le gibier braconné”. Ne sommes-nous pas les vrais gibiers pour les multinationales et les fonds vautours qui nous braconnent tous les jours, à notre époque ?

Pierre, très cher camarade, tu n’as pas seulement été humaniste, mais vraiment humain, dans le vrai sens du mot.

Tous ces souvenirs me disent que tu n’es pas mort. C’est à nous, tes amis, ta famille de te rendre, chaque jour, toujours vivant, en ouvrant à nos yeux, le souvenir que tu nous laisse.

Au revoir, très cher Pierre, et mes condoléances à tous les membres de la famille et particulièrement à Dominique De Vos qui m’a permis de te connaître.

Jean Oulatar Mbaitoudji



Coucou Pierre !

Comme disent les enfants à la cour de récréation: “tu es mon meilleur ami !”

Tous ces moments passés ensemble vont me manquer, les voyages, les expos, les concerts, les marches, tes repas délicieux pour lesquels il faut faire de la place sur la table complètement encombrée de piles de livres, ces livres qui envahissent chaque chaise, chaque morceau de divan ! Car toutes tes bibliothèques sont déjà archi-comble !

Toujours occupé, que ce soit pour Smals jusqu’il y a à peine quelques mois, pour un hommage à un(e) retraité(e) que tu as bien connu, pour une des commissions de vigilance, pour ton implication dans la section du PS de Woluwe St Pierre, pour le suivi de ces ouvrages en criminologie ou droit social à l’ULB, etc.

Mais surtout… Ce fameux travail en cours de la seconde édition du Petit Braconnier ! Ce Petit Braconnier qui te ressemble tant, curieux de tout, créant de nouvelles pistes, poète qui marche vers les limites de l’inconnu.

Ce qui me manquera le plus ce sont les conversations acharnées, tant au niveau politique que philosophique, sociologique ou artistique ou même utopique. Également ta grande sagesse pour prôner la tolérance, la liberté, l’écoute et la volonté de travailler au progrès de l’humanité.

Et … scout toujours ! Élan, viens, allons-nous-en, nous promener à Coxyde, essayer de dompter ce thuya qui recouvre la tombe de tes parents, ramasser les plus belles tourelles sur la plage qui font briller tes yeux, décortiquer des crevettes grises, marcher pieds nus dans le sable et laisser des traces qui s’effaceront avec les prochaines marées.

Écureuil-Sophie (Van de Velde)


Pierre, cher Pierre,

Nous nous connaissons depuis longtemps, au travers de nos carrières administratives respectives et de SMALS. Ici ce ne sera pas mon propos.

Je me suis réjouie de ton arrivée dans notre commission. Tu as d’emblée mis ta capacité d’analyse au service de la vigilance. J’ai retrouvé ton tempérament au travers de tes questions complexes à multiples tiroirs, mais qui font avancer des débats parfois houleux et difficiles.

Tu peux être traversé par des sentiments d’empathie ou de fureur mais moi je retiendrai que tu es un homme de cœur et de conviction qui peut mettre ses sentiments personnels sur le côté et rendre possible une solution fraternelle.

Les membres de la commission ont toujours apprécié ton côté attentif et chaleureux à leur égard. Pour terminer, je reprendrai une expression spontanée d’une membre à l’annonce de ton départ “Merci Pierre, nous te regrettons déjà”.

Au nom de la commission de vigilance de la fédération bruxelloise du PS je présente nos sincères condoléances à toute ta famille.

Jacqueline De Baets


Cher Pierre,

Je n’ai pas le don d’utiliser un langage châtié, comme tu l’avais. Mais je veux te rendre hommage à ma façon, au nom de toutes et de tous les collègues des institutions de sécurité sociale, particulièrement de l’ONSS, que tu as géré pendant 20 ans, et de la Smals, dont tu as été président pendant 30 ans.

Pierre, nos chemins se sont croisés pour la première fois en 1988 lorsque tu es devenu chef de cabinet adjoint du Ministre des Affaires sociales Philippe Busquin. Depuis lors, en véritables complices et compagnons de route, nous nous sommes engagés sur la voie d’une protection sociale belge plus efficiente et plus efficace grâce à une numérisation optimale. Ainsi, les assurés sociaux, en particulier les plus défavorisés, obtiennent ce à quoi ils ont droit avec beaucoup moins de formalités. Les résultats ont été reconnus comme des bonnes pratiques aux niveaux national et international. Cela a permis aux institutions publiques de sécurité sociale belge de recevoir des awards prestigieux des Nations Unies en 2006, de l’Union européenne en 2007 et, plus récemment, de l’Association internationale de Sécurité sociale en 2019. Le modèle belge de collecte, de traitement et de partage de données électroniques autour de la Banque Carrefour de la Sécurité sociale et de l’ONSS est systématiquement préconisé par la Banque mondiale comme source d’inspiration pour d’autres pays, et fait de plus en plus d’émules. Je ai encore pu te montrer, Pierre, la veille de ton décès, quelques photos de nous, recevant ensemble ces reconnaissances. J’ai été très heureux de percevoir, malgré ta douleur physique, quelques sourires de satisfaction sur ton visage.

Je ne vais pas entrer ici dans le détail du modèle de digitalisation. Mais je veux témoigner de l’énorme mérite que tu as eu, Pierre, dans son élaboration et ensuite dans sa mise en œuvre systématique. En tant que co-président de la Commission Royale pour l’harmonisation et la simplification de la sécurité sociale, tu avais entendu parler de l’idée de création d’une banque-carrefour comme alternative à une base centrale de données sociales. Une base de données centrale était inacceptable pour des raisons de protection de la vie privée et s’avérait trop menaçante pour l’autonomie des institutions de sécurité sociale. Tu avais entendu dire qu’au titre de collaborateur du Ministre des Affaires sociales, Jean-Luc Dehaene, j’avais eu l’occasion de donner forme à ces idées dans ma thèse d’étudiant en droit et en informatique. Mais le travail n’était pas du tout terminé lorsqu’un nouveau Gouvernement s’est mis en place. Dès ton entrée au cabinet du Ministre Busquin, tu m’as contacté pour explorer l’idée. Une semaine plus tard, sous ta direction, nous nous sommes assis autour d’une table avec Jos Viaene, mon promoteur à l’université, Jean Denaeyer, le chef du service des études au Ministère des Affaires sociales, et moi-même. En tant que 4 mousquetaires complémentaires, nous avons ensuite façonné le plan de réforme fondamental, l’avons traduit juridiquement en une loi et l’avons mis en œuvre par le biais de plans d’action trimestriels.

Pierre, tu as été un coach magistral dans ce processus. Tu as donné à ceux qui voulaient œuvrer pour une meilleure protection sociale d’immenses possibilités et beaucoup de chaleur humaine. Tu les as choyés comme tes propres enfants. Tu les as poussés à l’autocritique, à regarder les choses sous le plus grand nombre d’angles possibles. Tu les as fait réfléchir jusqu’à ce qu’ils aient une vue d’ensemble. Bref, tu tirais le meilleur de ceux avec qui tu discutais. Sans insister, mais en posant les bonnes questions et en ouvrant les registres. Lors de ces discussions avec toi et Jos Viaene, j’ai souvent eu l’impression que quelques cerveaux s’étaient ajoutés à moi. Et c’était très expansif. Tu étais authentique, Pierre, accueillant mais aussi confrontant. Et d’une grande loyauté. Si des accords étaient conclus, ils étaient systématiquement respectés, au-delà des clivages politiques.

Tu es ensuite devenu successivement administrateur général adjoint et administrateur général de l’ONSS. Avec ton adjoint et successeur, Koen Snyders, et de nombreux collaborateurs, tu as fait de cette institution un pilier majeur de la simplification et de la numérisation de la sécurité sociale. L’ONSS a joué un rôle moteur dans la mise en œuvre d’une réforme audacieuse et radicale de la collecte des données relatives aux salaires et au temps de travail, utile à l’ensemble du secteur social. Finie la collecte inutile, coûteuse et multiple des mêmes données. Désormais, une seule collecte multifonctionelle via DIMONA, la DMFA et les déclarations de risques sociaux. Les employeurs économisent ainsi chaque année des sommes considérables liées à des charges administratives inutiles, selon le Bureau du Plan

Encore après ta pension, Pierre, tu as continué à te dévouer pour cette ambition comme président de l’organe d’administration et du conseil d’entreprise de la Smals. J’ai toujours admiré la manière dont tu préparais les réunions et comment tu as toujours abouti à des décisions prises à l’unanimité et dans lesquelles tout le monde se retrouvait. Tu maîtrisais l’art de rapprocher les gens, de concilier à un haut niveau les intérêts des employeurs, des salariés et des indépendants. Tu avais une manière unique de tisser des liens cordiaux de personne à personne, à tous les niveaux.

Tu étais aussi un perfectionniste, Pierre. Un personnage académique qui savait partager ses vastes connaissances de manière vertueuse, au travers de publications scientifiques, aussi par le biais de discours, jusqu’au mot annuel du président pour la fête du personnel.

Bref, tu étais un grand homme, Pierre, avec une énorme curiosité intellectuelle, élégant, galant, maîtrisant les codes du savoir-vivre et cultivant l’art du bon goût. L’ensemble du monde belge de la protection sociale perd en toi un visionnaire, un leader, un bâtisseur de ponts et, surtout, un ami. Au nom de toutes les institutions de sécurité sociale, de toute la Smals, et surtout des assurés sociaux, un tout grand merci, Pierre.

Et je voudrais terminer mon hommage en te disant: cela ne te rend pas riche, mais c’est le privilège d’un homme intègre de ne s’en aller qu’entouré de gens qui l’aiment vraiment.

Frank Robben


Bij dit plots en triestig vernemen van het overlijden van Pierre Vandervorst  worden mijn gedachten overspoeld met zoveel mooie herinneringen.  Herinneringen aan de tijd dat ik als secretaresse bij hem mocht werken.

Pierre was een formidabele administrateur-generaal voor onze instelling. Maar voor mij ook een warm mens met het hart op de juiste plaats. En de waarde van een moment leert men echt kennen als het een herinnering wordt.

Pierre zal ik mij altijd herinneren als een bijzonder mens. En bijzondere mensen sterven niet, zij gaan wel, maar blijven toch voor altijd.

Veel sterkte voor zijn familie en dierbare vrienden.

Aline De Munter


Mesdames, messieurs,
Chère famille,

Je prends ici la parole au nom de l’équipe de droit social de l’ULB, une équipe qui n’a pas eu la chance de travailler directement avec Pierre Vandervorst – Pierre était de la génération qui a précédé nos prédécesseurs –, mais une équipe qui, néanmoins, sait qui est Pierre Vandervorst et qui sait ce que le droit social, et en particulier la sécurité sociale, lui doit. En complément des autres allocutions, je voudrais, en guise d’hommage, épingler quelques-uns des principaux faits d’armes de Pierre sur le terrain du droit social, et j’y ajouterai quelques souvenirs plus personnels.

Sans revenir sur l’intégralité des actes de bravoure de Pierre, relatés dans son CV concis qui tient en seulement 90 pages, nous savons que c’est à l’ULB que tout a commencé, avec, d’abord, d’innombrables études et profusion de grades : licencié en droit major de promotion en 1965, licencié spécial en droit maritime et aérien – d’où, peut-être, ce style d’écriture si éthéré que nous lui connaissons –, licencié spécial en droit social, bien sûr, avec la plus grande distinction, et… presque licencié en criminologie, l’entame d’une vie professionnelle trépidante n’ayant pas permis le dépôt du mémoire.

Ses nombreux diplômes sous le coude, Pierre entame une double carrière de haut fonctionnaire et de conseiller du prince, d’une part, et d’académique, d’autre part, dans les deux cas au service de la “Sécu”. La première carrière, depuis les allocations familiales jusqu’à l’ONSS, en passant par l’actuel SPF Emploi, mais aussi les cabinets ministériel du Travail (Guy Spitaels puis Roger De Wulf) et des Affaires sociales (Philippe Busquin), a été évoquée par d’autres. Je vais me concentrer ici sur la seconde carrière, à l’université.

A l’université, Pierre est d’abord assistant puis très vite, dès à compter de 1973, chargé d’enseignements. En droit social, Pierre aura enseigné à peu près tout, et cela, et en candidature, et en licence, et en licence spéciale : il a dispensé  l’introduction au droit du travail, le droit de la sécurité sociale, la réparation des risques professionnels (c’est-à-dire, pour les non-initiés, les accidents du travail et les maladies professionnelles), le statut social des travailleurs indépendants, le droit pénal social, et j’en passe. Mais Pierre ne se contente pas de donner cours, et de le faire en marquant et en suscitant enthousiasme et intérêt. En plus de cela, il supervise, il gère, il initie, il promeut, il coordonne, il soutient. Il a ainsi très longtemps été (de 1982 à 2003) directeur adjoint puis directeur de la licence spéciale en droit social, c’est-à-dire notre actuel master de spécialisation. Il a aussi été le maître d’œuvre de plusieurs ouvrages collectifs marquants en droit social, des ouvrages qu’il reste bon d’avoir dans sa bibliothèque. Je pense en particulier à A l’enseigne du droit social belge et à Cent ans de droit social, Cent ans de droit social publiés en 1986, soit tout juste 100 ans – chez Pierre, rien n’était jamais laissé au hasard – après les grèves insurrectionnelles de 1886, et donc la naissance du droit social dans notre pays.

Toujours au registre des grands travaux réalisés sous sa casquette académique, Pierre a aussi co-présidé, avec Roger Dillemans, professeur de droit de la sécurité sociale à la KU Leuven, la fameuse commission royale chargée de la codification de la sécurité sociale. Un travail titanesque avait ainsi été réalisé par les équipes de Leuven et de l’ULB entre 1980 et 1985. Vanessa De Greef, ici présente et elle aussi professeure de droit social à l’ULB aujourd’hui, avait eu la chance d’interviewer longuement Pierre sur cette aventure. L’avant-projet de code de la sécurité sociale, comme tel, a été laissé sans suite par le politique, conformément à une tradition bien établie dans notre bon pays. Mais l’avant-projet a directement inspiré plusieurs rejetons législatifs ultérieurs. Je pense en particulier à tout ce qui tourne autour de la modernisation, l’informatisation et l’humanisation de la sécurité sociale, des thématiques auxquelles Pierre tenait beaucoup.

En 1990, notre grand timonier est devenu administrateur général – adjoint puis en titre – de l’Office national de sécurité sociale. Ainsi promu à la tête du navire amiral de notre sécurité sociale et devant se préoccuper de gérer correctement un budget colossal de quelques dizaines de milliards d’euros, Pierre s’est, à l’ULB, replié sur l’enseignement du droit pénal social, son petit préféré. Pour ce qui concerne le diplôme d’études spécialisées en droit social, il a passé la main à son compagnon de route Jean Jacqmain, Jean Jacqmain qui n’a pu être présent aujourd’hui mais qui est certainement là en pensée.

Je vous avais annoncé quelques souvenirs plus personnels. Je me limiterai à deux brefs souvenirs, le tout premier et le dernier.

Ma première rencontre avec Pierre a eu lieu il y a un peu plus de dix ans, seulement, pour un séminaire résidentiel de deux jours à Bruges sur la défédéralisation des allocations familiales, la mauvaise idée du moment. Alors que je lui donnais dans mes emails préparatoires, en amont du séminaire, du “Cher monsieur Vandervorst, vous”, Pierre m’a très vite répondu avec ce qui allait devenir son immuable “Daniel, bonjour. (…) Bien amicalement, Pierre”. Comme au début je persistais un peu dans le vouvoiement, pensant benoitement, du haut de mes 30 ans, que le respect dû à un aîné illustre appelait alors un “Pierre, vous”, il m’a demandé pourquoi ce “vous” persistant plutôt que le “tu” du travail en équipe”, ajoutant “je te sens un peu tendu dans ta réponse”. Je lui ai répondu que j’allais m’appliquer, et il a réagi tout de suite en me disant qu’il comprenait et que, lui-même, il lui avait fallu un temps fou pour réussir, en son temps, à tutoyer Guy Spitaels, dont il était directeur de cabinet. Souvenir très simple : d’emblée, Pierre avait ainsi créé un espace convivial. Depuis, il n’avait cessé d’être généreux en grands sourires, en tapes sur l’épaule, en “discrètes poussées dans le dos” (Jean Jacqmain). Il était généreux aussi en emails demandant des nouvelles … et suggérant, par la même occasion, de publier sur tel ou tel sujet important à son avis, demandant de bien vouloir aller donner une conférence à tel endroit, me disant qu’il serait bon que l’ULB soit plus présente dans tel cénacle, m’indiquant qu’il a lu avec beaucoup d’intérêt tel article de ma plume, mais qu’à la note de bas de page n° 63, j’aurais quand même pu citer la 3ème édition de ses Cent ans de droit social et non la 2ème, parce que la 3ème compte un « après-dire » de sa plume très important, que je ferais bien de lire du reste, etc – car, oui, Pierre avait ce genre de coquetterie.

Dix ans plus tard, cet été, nous avons longuement déjeuné à deux, au soleil, à proximité de l’ULB. Il faisait magnifique. Nous avons enclenché la machine à remonter le temps : Pierre m’a raconté pléthore de souvenirs, mais uniquement parce que je l’inondais, moi, de mes questions, et lui-même m’interrogeait régulièrement en retour sur l’état de l’équipe de droit social que j’ai évoquée en commençant, heureux de savoir que cette équipe se porte comme un charme. Il m’avait conté par le menu l’héroïque codification du droit du contrat de travail, en 1978, quand il chef de cabinet de Spitaels. Sur l’introduction du statut “cohabitant” en assurance chômage, en 1981, cette fois sous De Wulf, il avait été plus évasif … Pierre avait bien évoqué son opération médicale à venir “fin septembre ou début octobre, je ne sais pas encore”, mais il semblait confiant. Ou à tout le moins il était resté pudique. On avait convenu de s’échanger les nouvelles cet automne. Donc, ce déjeuner sera donc mon dernier moment avec lui. J’en garderai pour toujours l’image d’un grand-père professionnello-amical, un lointain parrain, à la fois bienveillant, soutenant, chaleureux. Quelqu’un “qui émouvait et qui mouvait la personne en face de lui” (Mireille Delange).

Pierre, la belle équipe de droit social de l’ULB – et Vanessa De Greef se joint ici pleinement à moi – te dit merci. Tu nous manqueras.

Daniel Dumont


“Il y a des êtres qui nous touchent plus que d’autres, sans doute parce que, sans que nous le sachions nous-mêmes, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque” (Wajdi Mouawad)

Monsieur le professeur,
Monsieur l’ administrateur général,
Cher Pierre,

3 facettes que j’ai eu le bonheur de découvrir au fil du temps.

Nos chemins se sont croisés pour la première fois il y a un peu moins de 30 ans, moi à user mon jeans sur les bancs de l’université, toi à m’enseigner le droit pénal social ou plutôt m’inoculer le virus de la sécurité sociale et du droit pénal social. Je ne le savais pas à ce moment-là, mais nos chemins allaient encore se croiser de nombreuses fois.

En effet, en 2000 je rentre comme juriste à l’ONSS au contentieux. Malgré mon travail sur la contrainte, qui fut loin de faire l’unanimité au comité de direction, tu m’as soutenue et encouragée à développer mes idées sans me laisser décourager par la peur du changement.

C’est un des points qui m’a le plus marqué chez toi: ta vision résolument moderne de la sécurité sociale, loin d’un certain paternalisme. Une  sécurité sociale qui doit être un facteur d’émancipation, de faire grandir, de permettre de rebondir face aux difficultés de la vie et en traquant aussi les abus. Tu la voulais moderne dans ses valeurs et dans sa conception. Frank l’a dit mieux que moi: grace à ta façon de travailler ensemble et de rassembler les bonnes personnes, elle est un exemple et beaucoup de la sécurité sociale aujourd’hui veilleront à ce qu’elle le reste.

Et j’en viens à ce second point, plus personnel:  ta capacité à rassembler les bonnes personnes et à les pousser à aller plus loin. Jeune juriste impétueuse,  tu as réussi de nombreuses fois à me canaliser pour me pousser à grandir, à trouver mes marques. Même ayant quitté l’ONSS, tu as continué à me suivre, à m’épauler. Un mentor discret, toujours à l’ écoute dans mes doutes, dans mes questionnements, sans jamais aucun jugement. Tu as été présent à tous les jalons de ma carrière. Je me souviens de ta fierté de me voir arriver à la tête du Contrôle de l’ONSS. Un retour au bercail.

Puis les doutes face à l’ONP, où là encore une fois tu m’as poussée à sortir de ma zone de comfort et à nouveau quitter l’ONSS, mais toujours de rester dans cette grande famille de la sécurité sociale et à rejoindre ton autre organisation de cœur, la Smals. Près de 9 ans plus tard, tu m’as demandé à t’y succèder à la présidence. Un honneur, un défi d’être à ta hauteur. Je ferai de mon mieux avec l’aide des précieuses personnes qui y sont aussi.

Je ne peux terminer sans une citation comme tu le faisais: “Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants” (Jean d’Ormesson). Sans nul doute, tu es plus fort que la mort.

Sarah Scaillet


Lecture conseillée

VANDERVORST, P. (ed.), Cent ans de droit social belge – Honderd jaar Belgisch sociaal recht, Bruxelles, Bruylant, 1986, 925 p. (ISBN 2802703692)

VANDERVORST, P., Le paysage informatique de la sécurité sociale comme métaphore ?, Bruxelles, Bruylant, 2016, 183 p. (ISBN 978-2-8027-5307-0)